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lundi 17 décembre 2012

Les bêtes du sud sauvage @ La Pagode

La solitude. L'une des données les plus effarantes de l'expérience humaine et pourtant, bonheur ultime. La solitude volée dans la jungle urbaine, au milieu de la foule, à l'heure où les artères grouillent: délice. Il semble même presque absurde d'aller s'enfermer dans une salle de cinéma tant les trottoirs sales du luxe sont fascinant à cette époque de l'année. Mais c'est que La Pagode je devais y aller depuis longtemps déjà et que j'avais trois jours de travail consécutifs à laver. Histoire de pouvoir continuer tu vois, la vie.

Et sortant de la boutique rue du Cherche-Midi, c'est pas loin d'aller au 57 bis rue de Babylone et même que si tu cours tu peux arriver à temps pour la séance qui commence à l'heure où toi tu finis le supplice de la vente. Ce qui est pas mal quand tu sais que si tu ne fais pas ça tu vas vomir ou crever. C'est là où Keith Harring, pour lequel je n'ai absolument aucun intérêt par ailleurs, dit un truc qui pourrait expliquer le flot interminable de larmes que mes yeux pourtant cyniques ont déversé du début à la fin de la projection du film: "Une situation donnée peut avoir une infinité d'effets différents sur les pensées d'un individu, selon son état d'esprit et son attitude. Ce qui m'affecte aujourd'hui ne m'affectera peut-être pas demain. Rien n'est constant." [Il m'apparaît au moment où je note ces mots qu'ils n'ont rien de transcendant et qu'ils parlent peut être d'autre chose, passons.] Toujours est-il que je craignais un film caricatural empli de bons sentiments et de belles images pour dire tu vois la société de consommation c'est mal et la nature c'est tellement mieux. J'ai eu exactement ce à quoi je m'attendais, un beau film avec de beaux acteurs et une histoire poignante. Mais.

Le parti pris de choisir le point de vue d'un enfant et de s'y tenir. C'est-à-dire d'entrer dans la pensée à la fois causale et rhizomatique d'un être cherchant à donner un sens simple aux choses sales et complexes qui l'entourent. Et puis la beauté du Bayou. La liberté des marges. Et cette liberté filmée à travers le prisme de l'enfant ça fait qu'on voit des hommes et des femmes et des onces d'hommes habillés en femmes par exemple sans que ce soit un sujet d'une quelconque importance, c'est là comme ça. Ce n'est pas ce sur quoi il faut se focaliser. Les mélodies des battements de coeur qui font sonner l'univers sont par exemple bien plus importants. En ce sens, avec moins de raccourcis, le film est comme un écho lointain des tiraillements d'un Petit Prince inquiet pour une fleur. 

Alors oui, la musique caricaturale, la condition déplorable de la cellule familiale et les bottes en caoutchouc blanc qui viennent faire un contraste bien senti sur des adorables petits mollets métisses. Oui. Le festival Sundance. Aussi. Mais les mythologies enfantines qui ne sont pas aussi puériles que les histoires que leur racontent leur parents, qui ont cette poésie brute et absurde qui les rend charmantes. Le courage des enfants. La cruauté du monde. L'alcool. Les marges. Comme si le message du film se situait là: ne cherchez pas à changer le monde depuis le coeur de la modernité, vous qui êtes assis confortablement dans ce cinéma coquet de Paris, fuyez. Voyez ce que votre oeil et votre besoin vampirique d'échappatoires vous pousse à faire: aller violer tout ce qui reste de brutalité et de beauté dans le monde pour le transformer en carte postale abjecte d'une vie rêvée. Car toute la dynamique du monde est là, dans sa tension entre le centre (qui est par essence vide bien que tous s'y ruent) et les marges qui se déplacent toujours mais finissent immanquablement dévorées. Et mes larmes n'étaient peut être pas seulement le produit d'une fatigue incommensurable ou la conséquence d'un alliage images-musique-histoire en béton armé mais un petit éloge de la fuite. 

 

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