Arthur Miller, The Crucible
Il y avait Pasolini pour le titre qui quand on regarde le synopsis rappelle Deleuze et son pitié pour la viande qu'on aurait peut-être trouvé trop vu, revu, mais qui fait qu'on n'a de cesse de penser gorge coeur viande ce qui marche aussi et donne une vague idée de la peinture. Comme ça on sait déjà: le film s'adresse et/ou vient à nous, de nous. Bien que ce nous soit délicat à définir (mais disons nous, les personnes qui ne mettraient pas on et nous dans un même paragraphe sans avoir immédiatement tout un corps, professoral, en nausée). Il y avait aussi toi loin, ce qui joue dans l'investissement et dans la violence de la chute. La trahison accentuée par les kilomètres entre nous (qui se résume ici, mathématique, à toi-moi).
J'aurais voulu. Même quand j'ai lu l'interview par Thiellement qui bien qu'il soit comme engoncé dans ce costume de pape yoga pop a un jour pondu ça: La viande qui vient. J'aurais voulu vraiment. Parce que ça aurait pu, on aurait pu sortir du bien pensant bien filmé bien tout et savoir ensemble tenir les fils de Beckett et Kafka et pourquoi pas de Dante. Sans compter toute cette esthétique à présent récurrente de l'art contemporain au cinéma, celle qui ne rechigne pas à aller du chantier au conte de fée comme ça, en rebondissant sur tout. On aurait pu ne pas se sentir con. La question n'est pas tant ici de savoir s'il est tolérable de regarder l'animal se muer en viande, ça ne l'est pas. Pourtant la beauté des corps bêtes dans la nuit nous envoûte et nous met à petite distance (c'est-à-dire nous installent dans un canapé de velours rouge face aux toiles de Rembrandt). Mais les seuls dialogues, idiots. Condescendants. Pour tout ce que le métier de bouvier a de réel. Et ces dialogues, rien ne peut les justifier. Ils sont indécents. Vulgaires. Toi aussi tu fais les cauchemars la nuit? Et ta mère?
Oui la figure du chien, de l'animal domestique. Celui avec lequel les rapports sont assez intimes pour qu'on partage gamelle et pensées mais à la limite un peu trop. Ça me gêne la nudité. Couvre toi. D'où la caméra qui se plie qui se penche et donne à voir ce regard là. Qui juge sans juger mais qui sent beaucoup, littéralement, tous les enjeux de cet abattoir-enfer. Qui n'a pas été mué en acteur à l'inverse de son maître qui est aussi un homme qui se retrouve à vivre ce que c'est de jouer au bouvier avec des animaux qui meurent pour de vrai, pleurent pour de vrai, enfantent pour de vrai. Et tout cela, absolument génial. Mais à quoi bon? A part à accentuer la ligne de démarcation entre ceux qui savent l'horreur, qui comprennent, qui mesurent, et tous les autres aveuglés par ce que le monde a de monde et qui, les pauvres, bien malgré eux, vivent en terre de fiction de masse, mangent de la viande, travaillent, marchent et dorment dans les rouages du système. A part donc à élever plus encore ce trépied sur lequel la jolie classe dominante regarde pleine d'empathie son prochain, de moins en moins humain, de plus en plus fourmi. Comment pardonner un geste qui conserve cette distinction dans le formol puant d'une intelligentsia qui se dit sensible mais qui reste clinique?
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