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lundi 7 janvier 2013

Les habitants @ Mk2 Beaubourg

Lotissement lustré pour pulsions fêlées

Avoir été à Nogent sur Marne voir ce que donnent dans la vie les utopies architecturales les plus loufoques et avoir eu la nausée devant les perspectives démentielles qu'offrent les espace d'Abraxas. Voir que le rêve se confronte mal à la réalité et crée un gouffre incommensurable avec la vie quand elle est sordide. Voir que les meilleures intentions ont les résultats les plus douloureux. Quand un lieu de vie ressemble à une prison délabrée. Quand Debord a encore une fois raison: 

"On ne saurait oublier que si l’Urbanisme moderne n’a encore jamais été un art – et d’autant moins un cadre de vie – il a par contre été toujours inspiré par les directives de la Police ; et qu’après tout Haussmann ne nous a fait ces boulevards que pour commodément amener le canon. Mais aujourd’hui la prison devient l’habitation modèle, et la morale chrétienne triomphe sans réplique, quand on s’avise que Le Corbusier ambitionne de supprimer la rue. Car il s’en flatte. Voilà bien le programme : la vie définitivement partagée en îlots fermés, en société surveillées ; la fin des chances d’insurrections et de rencontres ; la résignation automatique."

Quand je suis allée ensuite voir Les Habitants c'est à ça que j'ai pensé d'abord, à la façon dont l'homme parfois, pour des raisons économiques et mégalomanes, propose des solutions inefficaces à la vie des autres. Rapidement pourtant, j'ai pensé au Far West et aux contes de fées. Impossible autrement, la poussière et la forêt, les monstres humains et les pulsions, comme si Bettelheim sortait de derrière les fourrés pour arracher le masque du loup et révéler les crocs acérés de l'humain dans ce qu'il a de plus noir et de plus sale. Le lieu de vie des personnages n'étant plus seulement alors une critique de ces constructions improbables des années post WWII, de ces années Le Corbusier mais un prétexte. Sous forme de huit clos, Les Habitants est un film d'exploration. Profitant d'une structure en vase clos, le film joue avec ses personnages et utilise les limites d'un nombre réduit de figures (le chasseur, le boucher, le postier, l'instituteur, les missionnaires et les femmes, juste femmes) pour en exploiter à fond les facettes. Il en résulte une farce cruelle (sache lecteur que l'homme d'âge mûr n'hésite pas à rire fort au Mk2 Beaubourg) et belle. Belle déjà par sa plastique nette, aucun effet trop spécial si ce n'est ce saint pervers qui pousse la femme à faire le martyr (ou l'intéressante, selon qui la juge) et  des couleurs neutres mais propres, des costumes caricaturaux et un personnage parfait: le héros. Thomas.

Thomas n'a pas d'âge. Il est l'enfant-adulte. Enfant par sa tenue, son rôle et son activité scolaire, adulte à cause de toutes les réalités de l'humain auxquelles il est confronté dans le microcosme de sa ville miniature. Adulte aussi à cause de ses envies qui, contrairement à celles de son père, frustré, sont encore belles et pures comme la sève des plantes. Thomas dont le corps, selon l'angle de la caméra est touchant comme celui d'un chérubin ou attirant comme celui d'un éphèbe. Sans que le passage de l'un à l'autre ne soit gênant. Thomas qui ne réagit pas exagérément aux évènements de sa vie mais qui sonne juste, observant le monde sans crainte et sans frustration, sain malgré la perversion alentour. Thomas qui est le rêve et l'espoir de l'humanité dans un monde souillé. Thomas qu'il faudrait à tout prix préserver.

En ce sens Les Habitants sont moins une farce cruelle qu'un message d'espoir puisque de la souillure du monde moderne on peut encore se préserver: il suffit de s'enfoncer dans la forêt et d'aimer simplement comme Thomas aime Agnès ou de jouer sans calculer comme Thomas avec le Postier. Et si les travers des autres figures nous font rire et souffrir à la fois c'est que le film est réussi: catharsis dans les règles de l'art, avec un soupçon de génie. 





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