Vraiment, vraiment, vraiment, l'aspect nocturne des rives de Jaurès m'enchante. Les lueurs et les arbres, les petits ponts et les ados.
C. me racontait que, pendant un temps, il lui était impossible d'aller voir un film un tant soit peu mélancolique de peur de sombrer dans un état d'apathie durable. Il est vrai que l'on sort des bons films comme des bons repas, avec le palais et l'âme souillés, transportés.
Poetry, c'est un peu ça. Une claque profonde et violente sous couvert de lenteur. Un réveil soporifique. Une beauté bouleversante de taudis transcendé, une brûlure de soufre. Quelque chose qui ressemblerait à la neige carbonique dont les dermatos usent pour venir à bout de nos verrues.Ça fait très mal et ça ne change rien. Ça fait très mal et ça change tout.
Et la mamie au corps flétri, à la coquetterie enfantine, aux questions naïves. Et la mamie qui cherche le pourquoi du comment, les yeux hébétés, la bouche fermée.
Les fleurs qui sont des boucliers, les enfants des robots et l'amour, quel qu'il soit, toujours atroce.
D'après ma tante, qui cite Walter Benjamin, le grand essayiste et critique, quand j'écris, je fais quelque chose de très important. Je m'explique. Autrefois, quand il n'y avait que la nature, sans les hommes, le monde était en parfaite harmonie avec Dieu, chaque créature était naturellement consciente de sa propre signification et remplissait son rôle, par exemple les arbres donnaient des fruits, et ainsi de suite. Quand l'homme est apparu, il a nommé les choses et les a privées de cette signification. Si nous appelons un arbre "arbre", aussitôt nous pensons à ses fruits, et c'est réducteur. Les écrivains, comme moi, dit ma tante, sauvent les créatures de ces limitations. Le poète cherche les mots pour redonner à l'arbre cette signification perdue.
Milena Agus, Battement d'ailes
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