Le bon sens, disait Roland Barthes, « est comme le chien de garde des équations petites-bourgeoises : il bouche toutes les issues dialectiques, définit un monde homogène, à l’abri des troubles et des fuites du rêve (entendez une vision non comptable des choses) ».
Stéphanie Moisdon, Frog n°9, 2010
Toutes les semaines, je paye un psy pour essayer d’avoir un avis, ou plutôt pour cerner cet avis et les raisons de son flou. Et toutes les semaines, la réponse me semble fuyante et multiple, impossible à poser. Et puis parfois, mon cœur se soulève dans ma cage thoracique et mon poing imaginaire se ressert : une histoire de conviction.
Mon amie C. n’est pas de longue date. Elle est même entrée dans ma vie au moment précis où il m’était impossible de lier sincérité et attachement sans me noyer dans un marasme relationnel féroce et mortel. Et pourtant. Pourtant, elle me lit. J’ai cru à de la charité. Et elle commente. J’ai cru à de la naïveté. Elle me conseille et joue du bouche à oreille. Là, j’ai vraiment cru à une incommensurable ingénuité.
Mais, le dernier numéro du magazine dont elle connait un je ne sais qui et où elle voudrait me lire, ce numéro a Marguerite en couverture et je ne me lasse pas de la caresser. Et ce magazine parle d’expositions révolues : c’est qu’il ne conseille pas, il rebondit. Et ce magazine parle avec classe et références de sujets inconnus : c’est qu’il ne s’abaisse pas à prendre ses lecteurs pour des cons. Surtout, le dernier numéro de ce magazine s’ouvre sur deux articles qui m’ont bouleversé la cage thoracique et fait frapper la notion de bon sens avec toute la puissance de mes petits poings imaginaires : quelque chose s’y dit.
On y attaque le bon, le bien et le sage et on y défend la liberté. On y parle de création, de procréation et de récréations. On y défend le droit de copier et le devoir d’agir. L’art n’y est pas décoratif, il est acéré et en marge : une bouffée d’air cinglant et vrai. Tout le contraire du droit d’auteur qui sert plus les éditeurs que les auteurs, tout le contraire du marché de l’art qui sert plus l’investisseur que l’observateur, tout le contraire du beau qui rassure les moutons et endort les humains.
Il n’y a d’ailleurs presque rien à ajouter sinon le simple conseil de sa lecture et la copie (justement) de la dernière phrase du deuxième article : « ...la énième expression purement idéologique d’un anti-intellectualisme, qui renoue avec les valeurs du beau, du bien, du travail et dont l’aboutissement est un interdit de la parole, la mort du langage. »
Alors, le petit poing virtuel fend les cieux paisibles et gris et vous dit: Vive le langage, vive la copie et que vive Frog.
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