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vendredi 14 novembre 2014

Kuitca @ Cartier

Cadavre exquis ou palimpseste – quand le plaisir est maître. 

Guillermo Kuitca peint. Mais il serait tout à fait pertinent de dire - de la même façon - qu’il parle, sent, dévore ou exhibe. L’exposition de la Fondation Cartier ne lui est pas consacrée, elle lui est offerte. Terrain de jeu, l’espace du sous-sol se déploie autour d’un nœud central, péripétie intime : la réaction qu’a eue Kuitca lors de sa découverte du « salon » de David Lynch à la Fondation Cartier en 2007. C’est qu’il s’agit pour l’institution de célébrer son trentième anniversaire et pour cela de mettre l’accent sur sa singularité : une collection titanesque composée principalement d’œuvres produites en réaction à son espace, aux propositions de ses commissaires, aux rencontres interpersonnelles ou thématiques suscitées par chaque exposition. Et Kuitca de répondre à ces croisements (au sens quasi génétique du terme), oui Lynch m’a bouleversé. Et d’oser donner à voir son cheminement sensible. En ce sens, le sous-sol du bâtiment de Nouvel devient tout à la fois cavité intime, organe et scène ouverte, offerte. C’est qu’il s’agit pour une fois de concevoir l’expérience de l’exposition non comme une accumulation d’œuvres à compulser comme autant d’entrées tirées d’un grand dictionnaire de connaissances stériles mais comme un tout, corps palpitant de discours qui se répondent et se transforment. Les habitants (titre de l’exposition) prend ainsi tout son sens : lorsqu’elle est vécue - c’est-à-dire regardée, traversée, ressentie - l’œuvre de Kuitca se démultiplie. 

Un corps humain est là quand entre voyant et visible, entre touchant et touché, entre un oeil et l’autre, entre la main et la main se fait une sorte de recroisement, quand s’allume l’étincelle du sentant-sensible, quand prend ce feu qui ne cessera pas de brûler, jusqu’à ce que tel accident du corps défasse ce que nul accident n’aurait suffi à faire... 
Merleau-Ponty 

Les composantes de ce corps pourraient se suffire à elles-mêmes. Patti Smith lisant du Lynch, Péléchian et ses Habitants sur grand écran, Kuitca lui-même non pas une fois mais deux et partout en rouge sur les murs dans cette langue qui est sienne - entre cubisme, futurisme et onirisme. Un Bacon à la place du père tandis que Tarsila Do Amaral et son Urutu emblématique joueraient le rôle de la mère. Les cieux de Vija Celmins seraient eux à voir comme autant de seuils infranchissables : début et fin d’une obsession, la même, celle qui fait de chacun de nous à la fois des individus singuliers et des micro-parties d’un incommensurable tout. Et pourtant, évidemment, malgré l’intensité de chacune des pièces présentées, elles ne sont pas en soi le clou du spectacle. En effet, c’est dans les tensions créées par leur rapprochement qu’il faut chercher l’espace à visiter. Infra-mince et changeant au rythmes des ondes lumineuses et sonores qui font vibrer l’ensemble, cet espace est protéiforme et généreux au point de pouvoir accueillir en son sein la perspective unique de chacun de ses visiteurs-habitants.

A cet endroit, quand la rencontre se fait et que l'on se laisse happer, arrive une nouvelle évidence: le jeu des connexions force au retour à la case départ - en l’occurrence celle du rez-de-chaussée et des voix de Lang, des circulations de Diller Scofidio + Renfro, de l'incroyable peau du cube en verre-nef centrale de Nouvel.

David Lynch


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