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jeudi 20 janvier 2011

tu ne tueras point



Les lettres sont des mailles dans lesquelles les petits enfants peuvent trouver refuge. Il suffit de s’entortiller dans les phrases d’univers créés à cet usage. Et les tourments du réel disparaissent, enfermés à l’extérieur d’une armure forgée par l’amour ancestral des conteurs. Et les tourments du réel disparaissent, absorbés par le miroir des mots-bouées. 

Parce que tous les parents et tous les enfants savent que la peau est un mur infranchissable, que le dedans est plein d’un vide incommensurable : l’étant. Je crois même que le cri du nouveau-né est la seule expression à même de nommer la déchirure première infligée par la vie. 

Aujourd’hui, l’ombre menaçante d’une fin des temps plane sur nos crânes déjà gris : la mort du livre. Oui, à l’ère du numérique tous les G20/8[1] sont mobilisés pour la défense des veuves et orphelins du droit d’auteur : la dématérialisation et le piratage sont les tueurs en série de la création[2]. Aux armes.

Mais cette mort, annoncée à grand fracas par des mastodontes aux yeux bouffis et aux canines acérées, me paraît impossible. Bien évidemment, c’est avec peine que nous voyons nos libraires agoniser, mais avant le numérique, le diktat d’un grand M[3] tuait déjà. Et le grand M respecte le droit d’auteur, son pourcentage et sa valeur monétaire. Le grand M place même la création sur l’autel de la grande C[4]. Le grand M est-il donc le calme avant la tempête, le moindre mal de l’édition, l’ami du scribe ? 

Peut-être. Peut-être que le grand M veut sauver le dinosaure[5]. Mais moi, je l’emmerde parce que je n’ai plus peur, parce que le principe de toute évolution passe aussi par la destruction. Surtout, je l’emmerde parce que j’ai reçu un cadeau. 

Hier, dans ma boîte aux lettres, un pli minimaliste et une carte[6]. Le contenu de ce pli, les mots sur le papier, je les avais déjà aperçus ici et je voulais les caresser. J’avais un peu peur parce qu’il s’agissait plus d’un miroir éclairé que d’une clôture sécurisante mais un miroir qui sonne juste, ça n’a pas de prix. 

Alors je me suis assise dans un coin, sous une couette pendant que le monde autour de moi s’effondrait et que les mastodontes hurlaient à la responsabilisation du citoyen et j’ai lu. Et c’était vrai et douloureux. Les mots ne me prenaient pas par la main pour me montrer un mirage, ils me renvoyaient mon image et me réconciliaient avec le passé, le présent et l’avenir. 

Quand je suis sortie de ma torpeur,  j’ai eu envie de partager. Et je crois, très sincèrement, que cette offrande m’a donné la force de soulever mon majeur dans la face du G, du M et de la C : ce qui est contenu dans le geste de Thomas Vinau ne se résume à aucune lettre et ne suit aucune loi. Le noir dedans est la raison pour laquelle on écrit, la raison pour laquelle on lit et la raison pour laquelle on continuera à vouloir faire offrande et partager des objets littéraires bien après la mort du M et de ses sujets. 

D’ailleurs, un nota bene pour analphabètes, vous croyez vraiment que tous les auteurs écrivent à la terrasse du Café des Deux Magots en buvant du champagne grâce à l’aide du grand M ?


[1] Le G 27 me paraît pourtant plus à propos.
[2] Entends-tu, petit hacker, tu es responsable, coupable, vipère et poison.
[3] Marché merdique
[4]Consommation croupie
[5] Surtout hic et nunc : dans cette France aux lauriers jaunis et littéraire, à l’intellect acéré et fier.
[6] D’ailleurs, la Poste, à l’heure de la dématérialisation, perd le M de la plupart de ses envois commerciaux et de bon nombre d’échanges informels au profit du mail mais garde l’essence de sa mission : transmettre des petits bouts d’humanité.

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