Hier c'était dimanche et il pleuvait. Déjà dans la queue, les gens se le répétaient ça, que c'était dimanche et qu'il pleuvait, comme une façon d'annoncer l'évidence: on allait se la jouer serrés comme dans une boite à sardines (pour l'odeur et la moiteur). Après, une fois passés les sas et les cours dallées, on était paumés malgré la foule, à cause de la boutique et des panneaux mais on a quand même fini par trouver l'accès à la première salle derrière un vautour au talkie-walkie.
J. le frère de C. m'avait rejoint aux alentours de trois heures, histoire d'être en plein dans le mille de l'heure de pointe mode digestion avec mamie et les enfants. On s'est regardés et on a plongé, on n'allait quand même pas faire demi tour. Après, on s'est vite rendus compte qu'on savait rien des testaments de nos pères et que le cinéma nous avait bien menti: tous les épisodes se mélangeaient dans nos têtes et on voyait pas pourquoi Chagall avait mis tant de temps. Enfin si, contexte global, mais entre 1931 et 1956 ça fait un bail. Surtout si t'as que deux heures pour tout comprendre, immergée dans un flot de gens pressés.
C'est là que tout d'un coup je me suis souvenue, peut être à cause du poids du sac sur mon épaule, de mes angoisses enfantines: seule au musée d'Orsay, étage impressionniste, je tentais moins de comprendre les toiles (Les Chaumes de Cordeville me faisaient leur petit effet indépendamment de toute causalité) que les expressions des usagers absorbés ou passionnés qui défilaient devant les oeuvres. Que savaient-ils que je ne saurais jamais? Il faut comprendre: je ne voulais pas adhérer mais comprendre, voir la clef tout au moins. Les années sont passées et je suis toujours là, pleine de ce manque absolu, portée par une foule de savants aux mots léchés. Absolument pas là où je devrais être, blonde en dépit de tous les masques: faute originelle dans le script du monde.
Et hier c'était la claque: deux heures à observer les couleurs et les thèmes, à ne pas comprendre pourquoi Jésus planait dans le ciel au dessus de Moïse, à ne lâcher aucun mot pour n'être pas plus de travers que je ne l'étais déjà. Putain de merde: qu'est-ce que je fous là? Quand on est sortis enfin, expulsés par la pression mondaine, il restait une demi heure avant la fermeture et je me suis dit qu'un petit tour par la collection permanente ne nous ferait pas de mal. Déjà parce que je ne pouvais pas faire plus imposture que ce que je venais de faire là et puis aussi parce que les salles vides et sur le point de se fermer des musées m'ont toujours permis de fuir la menace de la prise de conscience (de cette même imposture, si tu vois ce que je veux dire). Faut croire que j'avais la poisse puisqu'à peine arrivée, le gardien suspicieux me regarde et me dit "il faut venir le jeudi, il n'y a personne le jeudi" et d'enchérir "mais ce que je dis ne sert à rien, j'ai beau le répéter, je passe tous mes jeudis à attendre du monde et tous mes dimanches à gérer 1500 badauds qui reviennent, inlassablement, sans aucun respect pour les œuvres, occupés juste à prendre des photos." Alors là, autant je ne voulais pas prendre de photos, autant il m'avait bien cernée: je voulais me laisser happer par la collection et certainement pas la respecter. Faut croire qu'on peut lire sur mon visage comme sur un livre ouvert.
Sinon Chagall m'a bouleversée pour des raisons qu'une exposition ne saurait justifier mais j'ai la flemme de t'en parler, t'as qu'à aller voir ou lire tous les comptes rendus qui pullulent ça et là. Tu sais bien que moi j'ai jamais prétendu à ça.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire