Yayoi Kusuma, ils connaissaient. Moi pas. Mais j’avais déjà vu Munch, deux fois. Parce que tu vois, à Paris, l’argument no money a ses limites – il y a toujours une carte d’abonnement pour te permettre d’éviter l’obligatoire consommation des cafés et te donner la possibilité de vivre l’art autrement que comme un pèlerinage sacré, rare et cher. Pour moi, par exemple, Beaubourg (choisi aussi à cause de sa bien commode position centrale) est le lieu de l’attente, le lieu qui m’évite de me geler aux sèches morsures du dehors ou de boire un café dont je n’ai pas envie. Je peux y perdre mon temps sur tous les modes, du plus pressé au plus consciencieux. C’est aussi le lieu du rendez-vous des amis.
Yayoi, donc, elle connaissait. Ça datait au moins de l’époque où elle était allée sur ces îles improbables du Japon post Hiroshima. Je crois même qu’elle avait acheté un porte-clefs à pois. Les autres aussi m’en avaient parlé, j’avais promis un compte rendu.
Déjà, il faut le savoir, enlève ton pilote automatique, c’est de l’autre côté du hall. C'est-à-dire que tu ne pourras pas te faire un doublon vue panoramique sur les toits de Paris-exposition hype et informative. Sauf si tu fais comme nous et que tu te plantes. Tout dépend de ton sérieux et de la quantité de temps que tu peux dépenser au cours de ta visite. Une fois que tu le sais, que c’est de l’autre côté du hall, c’est facile : la file d’attente est parsemée d’asiatiques et de jeunes bobos, les plus âgés portent souvent du pois. Ok, c’est là.
Et dès la première salle, qui est à la fois l’entrée et la sortie, tu souris et tu tapes dans tes mains. Peu importe le côté musée et les questions que pourraient susciter une pièce tapissée de gommettes fluo : tu tapes dans tes mains et tu souris. C’est à la fois comme dans tes rêves les plus fous et un peu comme à la tv (c'est comme quand à la tv tu vois le bel intérieur de ta maison rêvée et que, la fatigue aidant, ton regard te transporte dans un envers du décor irréel et super flippant).
Ensuite, tu constates le côté chronologique. A quel point ici, de façon très claire, il te permet de saisir quelque chose de l’enjeu de la pratique et de la production artistique de la personne devant-derrière tout ça. Tu me suis ? Tu retiens l’écho d’Artaud. Parce que ça dit tout de suite quelque chose, ça te met in medias res. Après t’as les formes et les matières, ce truc étonnant qui fait que les tableaux des années juste avant New York sont comme un compte rendus des performances qu’elle y fera après, à New York. Tu sens le poids de l’art, à moins que ce ne soit la vie. Et la question, au bord de toutes les lèvres : quel prix pour qui ? A-t-elle dû vendre son âme au diable ? Le sacrifice est-il nécessaire ? Non, parce que tu vois, moi aussi j’aimerais bien mais si je pouvais en même temps garder mon pavillon en banlieue, mes amis et mon chien, ça serait mieux. Tu trouves pas ? Ça dérive, on arrive au mot art brut et puis on dit, à mots couverts, un peu gênés – avec les yeux qui courent sur le plancher : et puis pour ceux qui sont pétés, qui font des trucs incroyables, on devrait peut être se sentir mal ?
Ouais, tu vois, j’aime beaucoup les expositions qui te mettent dans des états comme ça, qui soulèvent les questions, celles qui font mal, celles qui dépassent les limites.
Sinon, tu peux aussi aimer l’exposition pour d’autres raisons que ça. Il y a cette première youpi salle dont je te parlais, celle des gommettes, mais il y en a deux autres dont une, incroyable, qui te donne accès à l’éternité cosmique, au paradis. Et d’ailleurs, parce que je me dois de finir sur ça, l’expo est chouettement cool aussi parce qu’elle te pose une question un peu plus légère : art thérapie, oui ? Au début, tu te dis oui, elle exprime par l’art. Quand tu arrives dans le ciel étoilé (qui vaut à lui seul le déplacement), tu te dis oui, elle fabrique sa thérapie. Et le must, c’est qu’elle la fait partager.
Donc, si un jour je gagne au loto, je me fais construire mon propre ciel étoilé.
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