La surprise, cette chose étrange qui peut être manigancée par une personne dans le but de faire plaisir à un proche ou résulter d’un concours de circonstances hasardeux, c’est-à-dire plus ou moins tomber du ciel. La surprise et son double tranchant. Elle demande tant d’efforts à préparer. Ça ne l’empêche jamais de tomber à côté, de rater sa cible, de ne pas faire exactement l’effet voulu. Quand on, moi, je fais l’expérience d’une surprise, il y a cette contrainte, ce poids : peu importe la réussite de la surprise en tant qu’objet ou action sensé combler mes désirs, je me dois de sourire, pour l’effort fourni. Je sais, dit comme ça, on entend bien le côté éternelle insatisfaite pinailleuse de bas étage. C’est fait exprès. C’est une espèce de procédé ayant vocation à faire monter la mayonnaise. Pour que tu ne sois pas surpris mais soulagé d’apprendre qu’il m’est arrivé une fois dans ma vie d’avoir la chance incroyable de partager une surprise tombée du ciel avec une amie parfaite, un soir parfait, dans un lieu parfait, dans des conditions parfaites pour voir le spectacle le plus adapté à mon état émotionnel du moment.
Recevoir un vendredi à midi un message formulé de la façon suivante : dispo pour l’Opéra Garnier ce soir ? N’être encore jamais entrée dans le bâtiment massif. Avoir autrefois dansé. Se retrouver à 19h30 sur le parvis, découvrir qu’il s’agit d’une répétition générale, que la pièce est de Pina, qu’il s’agit d’Orphée et Eurydice et que le danseur étoile sur scène ce soir est le plus beau de tous. Avoir des places parfaites. Et tout ça grâce à une jeune et superbe femme amie d’ami d’amie qui ressemble à un ange et ne sait pas à quel point le geste est bienvenu.
C. me dit toujours qu’elle a beau aimer mes textes, elle ne sait pas très bien où je veux en venir. Je ne sais pas m’exprimer, c’est pourquoi j’écris. L’espoir que quelque part entre les lignes tracées un sens émerge. L’espoir de rejoindre ainsi une communauté d’humains. Je ne sais pas m’exprimer et ne comprends absolument rien à la rhétorique. La danse, en revanche, ça me bouleverse. Les corps qui se plient puis éclatent. La ponctuation du geste qui vient traverser la rétine jusque dans le cœur, sans jamais vraiment passer par les mailles perverses du cerveau, ce grand castrateur de bonheur devant l’éternel. La musique et les corps et les visages et le chant. L’explosion des sensations et les larmes qui coulent d’on ne sait pas où. L’envie de penser que Pina c’est dépassé, trop vu et revu. La réalité de Pina, son langage incroyable du sensible. La capacité des corps mouvants à tisser la trame narrative du drame, à enserrer l’ensemble des spectateurs dans l’urgence du moment présent, à leur faire prendre part à cette fin connue mais toujours renouvelée du tragique. L’importance de ces moments-là.
Quand enfin, les lumières se sont rallumées sur les dorures, moulures, peintures et velours dégoulinants de rouge, la vie avait repris son cours mais le tremblement de mon être avaient cessé. J’avais retrouvé une raison d’être : un jour, peut être, une surprise…
Orphée et Eurydice - Présentation vidéo
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