Il y a des jours, même des époques entières où l'on se perd, où les choses n'ont plus leur saveur sans que l'on sache vraiment pourquoi. Souvent, c'est parce qu'on oublie de se nourrir. J'entends: sortir. Ou plutôt, parce qu'on oublie qu'on peut aimer se nourrir, trouver autre chose à ingurgiter que des plats cuisinés et trop salés, indigestes, détestablement habituels.
Hier à l'espace B, j'ai retrouvé ce goût de vivre. Non que j'ai jamais été dans une période suicide girl, ce serait bien mal me connaître. Mais je me demandais parfois pourquoi je me levais, ce que je foutais là. J'avais oublié jusqu'à l'existence, et donc le sentiment, de cette forme de plénitude que suscite ce que j'appelle, à défaut de trouver un terme plus juste, l'expérience artistique.
J'avais gagné des places. C'était Gonzaï qui régalait. J'avais lu Tortoise et ça avait suffit pour me motiver. On était donc deux, avec nos bières. Au début, un putain de beau mec sur scène. La voix, la guitare à 12 cordes et le paradis du fantasme. Il s'appelait Mascara Snake, ce qui est vraiment un drôle de nom. Il faisait voyager le public en plein dans son émotion. On se sentait un peu à fleur de peau.
Après, ils sont quatre à être montés sur scène. Batterie, basse (putain de basse), guitare/claviers, saxophone. Ils avaient l'air mi-guindés mi-tarés. Complètement tarés dès qu'ils commençaient à jouer. Mais ça on s'en rendait pas vraiment compte puisqu'on était embarqués, sans même avoir le temps de remarquer que le monde existait encore. Nous voilà donc, nous mêmes perdus, totalement tarés, la tête se balançant, les pieds glissant: incapables de respirer autrement que par halètement.
Le nom du mec à la basse: Bill Lowman. Le nom du projet: w.w.Lowman. La preuve que l'utilisation de stupéfiants ne fait pas de sens. Vraiment. C'est-à-dire que le corps du danseur qui existe en chacun de nous se réveille et demande à en découdre avec chacun des instruments, qu'il ne manque que l'audace, qu'un corps se mouvant sur scène avec eux serait un accompagnement merveilleux. C'est-à-dire qu'on arrive dans ce lieu de l'émotion où elle n'a plus de nom, où ne subsiste que sa résonance. Pure.
A un moment je crois, peut être pour le deuxième morceau du set, Bill a dit quelque chose comme "Well this one... if you find a name for this one, I'll give you a million dollars." J'ai probablement rêvé. Mais quand même. Parce qu'à ce moment, il y avait ce mot qui envahissait ma tête: "prairie". Pas "field", pas "champ", pas "clairière". Non. "Prairie". A cause de la petite maison dans la prairie, aussi parce qu'on y baise dans la prairie et enfin parce que la prairie, elle n'existe pas la nuit, que c'est un concept impossible une prairie la nuit, sauf dans la musique de w.w.Lowman.
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