MICHEL: C'est vraiment dégueulasse.
PATRICIA: Qu'est ce qu'il a dit?
VITAL: Il a dit que vous êtes vraiment "une dégueulasse".
PATRICIA: Qu'est ce que c'est "dégueulasse"?
Tu sais Le Louvre. C'est central, d'une beauté qui ne déçoit jamais. Il y a cette papeterie en son sein qui me fait toujours baver d'envie. Et puis il n'y a pas grand chose que j'aime plus que me salir les artères à manger un cheeseburger dégueulasse en regardant les fondations du palais doucement balayées par cette lumière chaude qui accueille le touriste à l'entrée du carrousel tandis que j'émerge de mon côté d'une nuit infinie. Surtout quand ça m'arrive, ce qui requiert une putain de configuration astrale. Si tu veux une image pour t'aider à comprendre, le contraste entre le carrelage blanc sale de la station de métro et les dalles de marbre sous la pyramide inversée illustre parfaitement ce besoin de rupture que l'on ressent comme un élan vital pour pouvoir supporter la beauté de ce musée. Avant, ce que j'aimais le plus en juin et en septembre c'était aller voir le jour se coucher depuis la cour carrée. Il y avait en outre assez régulièrement des violons qui résonnaient depuis les passages entre la cour et la rue. C'était bien, les joueurs camouflés par l'ombre et la sonorité qui résonnait tandis que le soleil s'amusait à effectuer un dégradé allant du blanc au rose en passant par des nuances de jaune et d'orange indescriptibles. Quand j'ai vu les échafaudages se dresser et que j'ai compris que j'allais bel et bien être privée de ce lieu cher à mon coeur, je me suis mise à haïr l'institution muséale et son extension maladive. Le Louvre n'était-il pas déjà bien assez grand? Qu'est-ce qui pouvait justifier la création d'une salle dans une cour? Pourquoi s'extasier devant une construction dont l'appellation "tapis magique" semble faire baver les aficionados de l'architecture contemporaine? C'est le putain de Louvre, merde.
Et là C. à Paris avec un coeur à ressouder. C'est intolérable une amie avec un coeur à ressouder, ça donne envie d'arracher les tripes et les bites de tous les hommes du monde. Elle m'appelle Bambi tu vois et croit que mon coeur c'est pareil alors que j'en ai plus. C'est juste que j'évite de le dire ça, le goût de cendres qui est le seul vestige humain dans ma poitrine. On vient pour voir le toit et les céramiques du département des Arts d'Islam. On parle du mystère de la couleur et de la cuisson. Le plaisir du geste et du toucher. Les mosaïques incroyables qui arrivent à donner un aspect sensuel à la pierre qu'est normalement dure comme la vie. Ces éléments intemporels et modernes qui datent du quatorzième siècle et viennent du bout du monde. Le référentiel qu'a changé et la ponctuation parfaite qu'apporte une touche d'exotisme à des intérieurs autrement aseptisés. On parle aussi de choses aussi débiles que la complexité des choix chromatiques dans l'achat de collants. On s'extasie devant la perfection de ce toit qui finalement a tout compris aux détails du mur qu'on voit à l'extérieur du bâtiment. La finesse de la maille, la propreté de l'ensemble qui sert merveilleusement les objets exposés. Le plaisir de parcourir le lieu à deux avec toutes ces choses qu'on a à se raconter mais qui ne diront jamais le bonheur de partager un peu de temps.
Après on va du côté de l'entrée Richelieu voir les statues. S'asseoir sur un banc et profiter des quelques minutes qui restent avant la fermeture dans cette salle qui s'appelle Marly et qui offre une perspective percutante sur la crinière de chevaux de pierre. La lâcheté des hommes et la naïveté des femmes. La caricature de ce qu'on dit et la conscience qu'on a de cette impossibilité qu'ont les mots à dire ce qu'on ressent. Chacun ses histoires et son vécu. Chacun ses complexités. Depuis ce banc on voit les touristes en contrebas. Ils sont peu nombreux. Ils saisissent les objets avec leurs appareils numériques histoire de pas oublier qu'un jour ils sont allés à Paris. Il y a cette femme. Pantalon rouge, veste violette, cheveux roux colorés. La cinquantaine. Elle regarde la statue, tend son bras et lève son appareil photo. Quand son visage, à distance de l'appareil photo, se tourne vers la cible de son geste, il n'a plus d'âge. Offert, l'image de tous les visages de femmes extatiques dépeints par les sculpteurs grecs et les peintres de l'Angleterre du XVIIIe. Pour être tout à fait précise, il me semble à ce moment là tout droit tiré de Laus Veneris de Sir Edward Burne-Jones - ça ne dure qu'un instant mais c'est parfait. La preuve que tout a un sens. Quand on s'en va ensuite, chassées par des gardiens fatigués, on gardera cette image et les couleurs des céramiques. Réconfortées.
Arts de l’Islam - Musée du Louvre Paris - Pascal Ferrant |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire