Le truc, la mode cet hiver c'est Hopper. Je veux dire: tous les hivers c'est la mode d'aller écouter le mec qui joue du violon sur un enregistrement pourri dans la queue qui n'avance pas jusqu'à l'entrée du Grand Palais. C'est très classe ensuite de s'agglutiner à mille milliards de vieillards à l'audioguide et à la canne dans des salles étouffantes. On le fait pour Picasso ou pour les Stein. On le fait pour Turner. On le fait parce que ça envoie tu vois. Arte en parle, en fait parler Wim Wenders. Les préventes sont complètes jusqu'en novembre. Ils prévoient d'ouvrir 7/7 24/24 aux alentours de Noël. Les touristes sont contents et les caisses débordent.
Dans le fond d'ailleurs, moi-même j'aimerais beaucoup voir les toiles de Hopper parce que Hopper tout de même. Et puis Chicago. Mais probablement pas au prix d'une crise inévitable d'agoraphobie. Donc. Bon. A quelques (longues) minutes à pied de là, il y a une expo beaucoup moins belle à voir. Je dis beaucoup moins belle parce que malgré son titre tout mystérieux, quand tu rentres dans la première salle tu comprends tout de suite qu'une grande partie de l'histoire de l'art est un phénomène de mode. Là ta rétine en chie. Des couleurs sales. Des matières toutes collantes comme la morve qui sort de mon nez. Des formes indiscernables et sans grâce. Si, je te jure, je ne vois pas comment une première impression de l'expo Soutine peut être autre que celle que je viens de décrire. C'est comme une surdose de grenadine. A laquelle on aurait rajouté de la menthe et du sirop de goyave ainsi que du sucre pour te désaltérer. Pourtant l'Orangerie c'est un bâtiment bien beau sobre comme on en voit surtout à Berlin. Rien de surchargé. Tout pour voir les oeuvres telles qu'elles sont. Mais Soutine. Soutine et les vieux qui sont majoritaires dans ce musée. Avec leurs costumes, leurs tailleurs bleus pivoine, leur or et leurs perles. Cela dit, à leur décharge, ce ne sont pas tout à fait les mêmes que ceux du Grand Palais: ils ne sont pas arrivés en car. Quand tu comprends, à peu près au milieu de l'expo, que les plus grands mécènes de Soutine étaient décorateurs d'intérieur, tu ne peux pas faire autrement qu'être perplexe. Parce que jusque là tu t'étais fait une raison en te disant ah tiens c'est bien on l'a laissé peindre ses obsessions sans aucune considération pour l'esthétique (au sens où il me semble impossible qu'une toile de Soutine puisse s'accorder au papier peint d'un salon ou à l'ambiance apaisante d'un boudoir). Peut être que non en fait. Mais ça reste une question, pour la raclure de bidet à plumes que je suis, de savoir d'où sortent l'argent et le succès.
Après, les carcasses. Pour les carcasses, j'ai pensé très fort à cet autre que je ne contacterai pas - je suis comme toutes ces femmes qui craignent et chérissent à la fois les hommes influents. Je voulais lui dire quelque chose sur le moment. Que ces carcasses valaient à elles seules le déplacement probablement. Qu'elles me parlaient très justement, là, depuis cette institution toute propre de l'Orangerie. Là, juste en dessous des Nymphéas. Auxquels on n'a probablement rien compris, soit dit en passant. Je voulais aussi peut être lui dire que la drague au musée c'est bien plus compliqué que ça en a l'air. Entre l'imbécile heureux qui fait Beaubourg le samedi pour en parler le lundi à la machine à café et le papi de l'Orangerie il n'y a que peu de chances que la mayonnaise prenne avant que je me sois ruinée en virées tickets pour expositions pourries (on ne parle pas de la production artistique ici, hein, on parle du commissariat d'expo, ce truc à mi-chemin entre la branlette stérile et la soumission aux lois de l'offre et de la demande) . Non la drague, c'est pas au musée mais grâce au musée. Soit quand au premier degré, entre deux bouchées de cacahuètes, tu expliques à un inconnu pourquoi finalement c'est pas si mal d'aller à Beaubourg à condition de pas voir l'expo la plus en vogue. Soit quand tu te sers de tous les degrés auxquels ton cerveau reptilien veut bien accéder pour dire tu vois, j'arrive même à me moquer de ma technique au moment même où je la déroule.
Ensuite, dans la collection permanente, Picasso que je connais depuis pourtant des siècles m'a mis une claque. A cause de ce que j'ai vu depuis. Et Renoir, j'ai vu la mort dans tous les regards de ses poupées aux joues rosées. C'est à ce moment-là que j'ai dû me casser.
Soutine, le canard |
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