"Quand ma mère venait au cimetière, elle allait voler les fleurs déposées sur la tombe de Pierre Laval pour les offrir aux poètes, Baudelaire et les autres." Sophie Calle
Au début on se dit que c'est un peu comme la fin rêvée d'un conte de fée. La raison pour laquelle on veut tous plonger dans le couple - histoire d'être en apnée, de remporter la guerre contre la solitude humaine. Un film qui commence avec le vieillard le plus gentil du monde disant à la plus belle vieille du monde qu'elle lui plaît. Ce qui est d'autant plus écoeurant/émouvant qu'il est clair qu'il le dit et le pense depuis bien des années. C'est l'histoire terrible de la fin de vie quand elle est laide et poétique et inéluctable et puis tant pis. C'est un film on nous avait dit faut être armé, prêt à le vivre à y faire face. C'est vrai, quand tu vois dans le visage de la femme le rictus déjà vu de la mort qui s'installe ça fait mal, c'est impossible autrement. C'est pas tellement surfait mais faut dire les choses comme elles sont c'est pas tellement le réel tel qu'il est pour autant. C'est Haneke qui te parle de ce que tu crois être vrai ce qui fait que c'est pire encore que la réalité, à mi-chemin entre sa substantifique moëlle et son côté cliché. Les mots convenus et les discours vains que l'on se tient pour ne pas avoir à voir et à entendre les ravages du temps sur la beauté du monde. Les regards qui se dispersent et les yeux qui débordent. Le hurlement comme seule réponse possible à l'inconcevable et le vieillard, pendant ce temps, toujours parfait.
Toute la cruauté de Haneke se situe dans la zone délicate et subtile de la technique. Pas dans le mot ni dans le geste (la mort de la femme étant finalement la partie la plus tolérable de l'histoire). Ellipses et scènes interminables se succèdent sans pour autant jamais rompre un rythme pervers, imperceptible. Chirurgical, le regard du metteur en scène glace. C'est que le texte et les corps semblent d'abord incarner une forme d'idéal qui va d'un contexte socio-culturel au détail de la tenue d'une permanente brillante et douce à la fois mais qu'ils ne sont en réalité que le fard d'une machine de torture morale au mécanisme parfaitement huilé. Parce que c'est l'horreur tu vois de voir ça. De voir un amour qui n'existe pas, qui ne peut pas exister. De voir qu'on pourrait quand même le raconter. Que même en le racontant c'est dérangeant. Que la vie est belle et bête comme un pigeon. Que l'homme n'est même pas un pigeon. Des portes qui claquent ou contre lesquelles on butte, des portes qu'il faut colmater pour les sanctuariser. La déchéance, la décrépitude de corps pourtant beaux. La musique qu'on ne peut plus écouter.
Embarqué, le spectateur maudit sa nature humaine qui fait qu'il est incapable d'être à la hauteur de cet amour-là. La maudit d'autant plus que même cet amour-là, pour faire face à ça, est un tout petit animal chétif et sans défenses. Tandis que pour lui, qui est essentiellement sans ça, ça sera terrible. A ce moment-là dans les synapses ça travaille, dans les mâchoires ça se serre et le noeud dans la gorge. L'horrible sensation que le cinéma s'est transformé en fosse commune. Les larmes qui ne viendront qu'après qui ne peuvent pas venir pendant tant le vertige est grand devant l'écran. L'envie terrible de décrocher son téléphone pour appeler la terre entière, surtout la plus intime, histoire de survivre à la nuit de Paris. La raison qui prend le dessus.
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