Ça a commencé par la lecture d'une lettre du frère de Bernard Marie Koltès à Pipo Delbono. Ou plutôt en préface, tant que toutes les lumières étaient encore allumées, par Pipo qui disait qu'il avait appris sa séropositivité le même mois de la même année que le décès de Bernard. Décès dû au sida. Il y a eu une note d'humour parce que Pipo a soupesé son bide en disant que lui maintenant ça allait. Il y avait aussi l'accent qui faisait que tout ne se comprenait pas nécessairement surtout qu'il mange ses mots ou qu'en fait il s'en fout des mots ou plutôt qu'il est au-delà des mots. Il a dit son mépris pour le public des théâtreux et c'était comme une déclaration d'amour. Tout le long la rage et la haine et l'amour et le désespoir tout ensemble. Son corps en sueur. Le grain de sa voix qui est en réalité celui de toute sa personne. Un monstre. La préciosité d'un moment comme celui-là. La lettre elle avait été écrite en Italie dans les années 2000 environ et on voyait très bien les bateaux et les corps qui tentaient de venir jusqu'aux nôtres. L'envie de noyer dans l'alcool. La blondeur des femmes russes sur les bateaux plus chanceux. Le rouge de leurs lèvres. Le vide des sacs éventrés qui s'échouent sur les plages. Le silence dans la salle et dans les gorges de chacun.
Puis la Notte en italien avec une guitare et quelques gimmicks. Des éclats de rire. Des larmes sans cesse refoulées. Un acteur qui défie le public comme ces lutteurs prêts à en découdre. Morituri te salutant, public parisien. Réveille-toi. Ave, Ave, Ave, je n'ai rien à t'apprendre que tu ne saches mais il faut que tu l'écoutes, c'est le rythme de mon coeur qui bat, c'est l'odeur de ma pisse et de ma transpiration, c'est ma chair usée par ton indifférence. C'est le mec en bas de l'escalier qui est au seuil de la vie avec ses ongles brisés. C'est le flux de la ville et de tous ses camés. C'est la terreur et l'horreur de la modernité. C'est plus haut encore que les ministres. C'est un visage sans jouissance. C'est un massacre intime. C'est la soif que j'ai de ton sang. C'est le besoin que j'ai de ton corps. C'est quand les mots sont foutus et qu'il faut quand même les balancer pour que les choses continuent et que certains s'y rattachent. C'est l'amour qui est dans les yeux, dans les draps, dans le coeur. C'est la mécanique indifférente du crime contemporain. C'est pas possible de se taire. Plutôt crever. Fan culo. La musique et le cri. La question du territoire urbain et de tous ces connards qu'on peut plus supporter, qu'on voudrait frapper, qu'on aimerait baiser. Histoire de tout mettre à plat. Partouze générale. C'est la noblesse de Pipo Delbono et la puissance incroyable de la langue de Koltès. Sa douceur jusque dans le vulgaire. C'est quand le coup de boule et l'hymne à l'amour se rejoignent. C'est l'espoir enfin qu'il reste un souffle de vie dans cette humanité désincarnée. C'est essentiel.
Lis Koltès. Putain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire