L'ombre du hareng
D’abord la masse d’un corps aimé, solide, géant. Impossible
à saisir ou réduire tant il est grand. Avant, les mains de vieilles. Partout le
brun. Un glacier énorme dans une nuit noire-glue. Reconnaître la force du vert,
l’énormité des angles. Quelque part, entre les marches et le milieu, une
épiphanie rupestre comme on en voit peu. Fautrier explore. Il tente. Sa finesse,
son éloquence et l’épaisseur de toute matière pour faire advenir, non un
sanglier ou des fleurs, mais du vécu. Cela tue un peu de voir – opacité ou transparence.
Fautrier se dévore comme un plat dense, rassasiant les
affamés. Il se digère mal (l’estomac râle), ne se plie à aucun ordre. Aristocrate
furtif. Ogre innervé. Les formules à inventer ne diront rien de l’épaisseur de
l’enduit. Le corps se couvre de peaux dures, lourdes; un poids présent. Les yeux se creusent toujours plus profondément - jamais autant on n’avait vu : cela surgit partout. Les
lignes n’en sont plus, l’épaisseur est un leurre, la couleur luit. Délicatesse
poudrée de teintes assoiffées. Comme s’il avait compris le Temps. Il
séduit. Transcende : quand il parle d’objets, il rappelle bien plus Ponge
que Warhol – non qu’on songe à comparer.
Distance spatiale et chronologique. Tout vient des profondeurs.
Il n’y a plus rien: des miroitements, des mirages comme des ombres, comme
les vagues qui se recouvrent et se retirent (d'autres diraient se forment).
Fautrier n'est nulle part.
Fautrier fut.
Tête d'otage n°21 - 1944 1945 © Jean-Claude Planchet - Centre Pompidou, MNAM-CCI /Dist. RMN-GP |
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