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jeudi 14 mars 2019

Dans la terrible jungle @ Mk2 Beaubourg

A titre de renseignement

"L'autre est impénétrable, introuvable, intraitable ; je ne puis l'ouvrir, remonter à son origine, défaire l'énigme." R.B. Fragments d'un discours amoureux

Un être traverse le cadre, il est sur une chaise roulante à moteur, on entend sa voix : étrange. D'autres êtres qui dansent, des regards perdus dans lesquels se pas fixer. Âges jeunes, voix, rapports. Une caméra posée à distance certaine et le doute quant à ce que l'on voit. Une envie de juger, immédiatement, les rapports entre les êtres, entre les cadres. La compréhension difficile de ce qui se joue là. Le phénomène dure un certain temps, suscite sourire, rire, larmes. Quelque chose se passe en creux d'oreille, de joue, du coeur, subtilement se déploie. Le spectateur n'est pas assis dans son fauteuil d'ombre pour jouir de l'écran, il est projeté dedans, forcé de réagir à une altérité qui ne s'excuse pas, qui ne perd rien au grand jeu du cinéma. Sans ostentation, les êtres jouent, ils sont fiers et font bien de l'être, ils sont vivants, terriblement.

C'est quand Gaël éclate que se prend le tournant. Un jeune homme qui saute partout, sur tout, cascadeur gigantesque, caricature: albinos, grand, jeune, autiste évidemment. Sauf que c'est vrai, que ça n'est pas autrement, que ça est, qu'il faut voir, se tenir dans le fauteuil, sentir son corps propre noué. Que la caméra nous donne ce qu'elle a reçu et qu'il nous faut, comme elle, apprendre à faire avec, à entendre chaque tessiture de ce monde-là.

Présenté à la 71e édition du Festival de Cannes, Dans la terrible jungle tue. Documentaire transcendé, film d'amour, hommage. Un hommage à la vie et à l'autre qui ne prend le handicap ni par ni pour un défaut, qui le regarde et l'entend comme une facette de la singularité humaine, facette extrême, dont l'objectif ne se détourne pas, pas plus qu'il ne l'ausculte. La caméra n'est pas tout à fait dans le dialogue, elle est au service d'une relation qui est celle qui se tisse entre des humains tout autour de l'objet qui vole images et sons. Elle sert d'interface et si son usage produit un résultat juste, c'est qu'il est bien compris. Difficile de ne pas penser à Deligny, dont le terme camérer semble se prêter aux énergies sous-tendant ce qu'on voit. C'est le collectif, celui qui n'est ni la somme de singularités ni leur effacement dans un tout monotone, mais le dépassement de chacun par l'autre, qui nous donne à voir ce résultat. Un objet rare.



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