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mercredi 20 mars 2019

Corpus partial

Dès qu'elle est vue, reconnue. Dès qu'elle est sue, la grotte est documentée. Le document dit sa réalité, capte, rend. Photographies donc, kyrielles, et films. Films bien avant le rêve. Légende aussi, pourtant, des heures passées par certains, des minutes de luminosité, de la paroi avec laquelle danser. 

Qui quoi filme, pour quel souvenir? Que voudrait-on savoir? Quel mouvement, quel relief? Fidélité du pigment au temps, du temps à la main. L'oeil se promène, il voit. La main pourrait toucher, la peau sait le froid, l'humide de ces zones-là. Ce qui est fou, là, à l'image, c'est que je sais, je sens; croire pourtant, et à quoi? Propulsée dans un espace dont je ne ferais jamais le chemin, dont je ne sais plus le sens, je vois. Voyant je sais, pattes, courbes, vie des animaux, traits de mains humaines; ça je le sais, je sens. Et je regarde, ce que je vois je ne sais pas, me dit que sûrement une main mais je ne sais plus le sens. On me dira de la magie, superstition, espoir, fonction sociale, hiérarchie, pouvoirs, mort, chair. On me dira tout, je verrai les mesures, les tableaux, toute la nomenclature, on me parlera poussière et j'aurai mal à la peau. C'est tout mon dos tout l'épiderme et l'os ensemble qui se crispent. Je marche sans jamais voir, je pleure avant de voir. Et dans mon oeil entre une ligne noire dont je peux mesurer le souffle, elle m'apaise, je suis avec la main sur la paroi. Je ne vois plus. 

Récemment, on a célébré les 2019 ans de la terre, puis on a découvert un site de peintures encore plus vieilles que Chauvet, ensuite on a établi le mystère des plantes et des corps qui dépassaient de loin nos fonctions mentales, on nous a aussi rappelé que trop de lumières électriques, de plastique et de mégots de cigarettes tueraient baleines, glaciers et nourrissons. On nous a dit de trier pendant que la liste des ingrédients s'allongeait. On nous a parlé d'empreintes comme de drames. On n'a cessé de nous expliquer ce que le bon sens devrait, on nous a dit d'arrêter, on nous a demandé si on voudrait nous aussi vivre en cage, mourir gavés. On nous a rappelé systématiquement la chance qu'on avait d'avoir des mains à même de voir le pigment. On nous a demandé encore de remercier les forces qui protègent nos âmes; casques fer. On nous a remontré ça, d'où on vient, de quel mystère on descend, ce qu'on en retient. On nous a expliqué qu'il était normal qu'on ne comprenne rien, qu'on devait regarder, accepter, sourire et plier.

Et tout à coup encore la ligne noire, tout à coup la main cerclée de noir, d'ocre, tout est sorti de l'image. On ne nous dirait plus rien, nos oreilles n'entendraient plus rien. On vivrait. 



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